Dans le cadre des marchés publics, la mention d’opérateurs économiques » n’exclut pas les organismes à but non lucratif, à condition qu’ils exercent une activité économique conforme à leur objet social.
L’ordonnance du 26 Novembre 2018, qui transpose dans la législation française la directive du Parlement européen et du Conseil sur la passation des marchés publics, peut concerner les associations à la recherche de financements. Mais quels sont les intérêts et les limites de ce dispositif ?
CONTEXTE :
Dans le cadre de leurs activités, les associations sont à la recherche de financements. Ainsi, en complément de l’appel public à la générosité, les associations se tournent vers d’autres acteurs, publics pour l’essentiel, afin de recevoir des aides qui peuvent prendre différentes formes : mise à disposition gratuite de moyens matériels, financement spécifique à une action donnée ou encore aide au fonctionnement général de l’association.
Traditionnellement, les subventions publiques constituaient une forme d’aide privilégiée apportée par les pouvoir publics aux associations. Mais les obligations de contractualisation des subventions d’un montant supérieur à 23 000 euros définissant l’objet, le montant, les conditions de versement et d’utilisation de la subvention ont brouillé la frontière avec les contrats relevant de la commande publique. Dès lors, en raison du risque de confusion avec les marchés publics et de sanctions pénales à la clé, de nombreuses collectivités publiques se sont détournées des subventions, jugées trop dangereuses en l’absence de définition juridique jusqu’à la loi du 31 Juillet 2014, au profit des marchés publics.
Ainsi, de très nombreuses collectivités publiques ont préféré passer des marchés publics pour confier à des associations la gestion d’activités jusqu’alors subventionnées. Mais les associations peuvent également, en tant qu’opérateurs économiques, s’inscrire dans une démarche plus offensive de « conquête de marchés » en répondant à des appels d’offres dans le cadre de marchés publics ou de conventions de délégation de service public.
Il ne leur est pas interdit de soumissionner dès lors que l’objet du marché s’inscrit dans leur objet social. Et cela d’autant plus que le droit européen traite les associations comme des entreprises comme les autres. En effet, en droit européen, est opérateur économique « toute personne physique ou morale ou identité publique, ou tout groupement de ces personnes et/ou entités, y compris toute association temporaire d’entreprises, qui offre la réalisation de travaux et/ou d’ouvrages, la fourniture de produits ou la prestation de services sur le marché ».
La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) – aujourd’hui devenue Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) – a ajouté cependant qu’une activité économique implique que « les prestations soient fournies normalement contre rémunération ».
ORDONNANCE ET CODE DE LA COMMANDE PUBLIQUE :
Les associations relevant de la loi du 1er juillet 1901 ne peuvent être exclues de la possibilité de concourir à l’obtention d’un marché public. De plus, il semblerait tout à fait normal que cette forme juridique puisse être, dans certains types d’activités, notamment celles touchant à la personne, privilégiée par rapport à d’autres structures.
La directive européenne sur la passation des marchés publics a donné lieu, en France, à l’adoption de l’ordonnance du 26 novembre 2018 portant partie législative du code de la commande publique, qui précise que :
- « Est opérateur économique toute personne physique ou morale, publique ou privée, ou tout groupement de personnes doté ou non de la personnalité morale, qui offre sur le marché la réalisation de travaux ou d’ouvrages, la fourniture de produits ou la prestation de services » ;
- « Un candidat est un opérateur économique qui demande à participer ou est invité à participer à une procédure de passation d’un contrat de la commande publique » ;
- « Un soumissionnaire est un opérateur économique qui présente une offre dans le cadre d’une procédure de passation d’un contrat de la commande publique ».
Cette ordonnance, qui a donc créé la partie législative du code de la commande publique, a été complétée par des textes ayant quant à eux intégré la partie réglementaire dudit code.
Il est cependant possible que, pour des raisons économiquement justifiées et d’intérêt général, le recours aux services d’une association soit préféré à ceux d’une entreprise, en particulier dans le domaine social. La CJCE l’a admis notamment en matière de santé publique et de sécurité sociale au nom des principes universalité, de solidarité, d’efficacité économique et d’adéquation.
Vouloir maintenir, pour des raisons de santé publique, un service médical et hospitalier équilibré et accessible à tous, et éviter tous gaspillage de ressources financières, techniques et humaines peut justifier une entrave à la libre prestation de services et le recours à des organismes sans but lucratif en dehors des procédures d’appel d’offres.
Mais dès lors que des associations concourent aux côtés d’entreprises commerciales à des marchés publics peut se poser la question de l’avantage concurrentiel qui pourrait résulter de l’exonération de l’association des impôts commerciaux. En effet, l’association se trouve dans un cadre concurrentiel et ne peut que difficilement justifier remplir les conditions d’exonération de la règle des « 4P » dès lors qu’il ‘agit de respecter un cahier des charges et non d’appliquer un projet associatif.
Néanmoins, en cas de contrôle fiscal, l’association restera tenue par le tarif contractuel fixé dans ‘acte d’engagement signé avec la collectivité publique et devra assumer les conséquences d’un éventuel redressement. Il est évident que les associations qui se portent candidates à des marchés publics intéressant des sociétés commerciales encourent le risque d’une fiscalisation de leurs activités.
JURISPRUDENCE EUROPÉENNE :
Comment apprécier les relations entre sociétés commerciales et associations du point de vue des règles de la concurrence ? Dans le cadre de l’arrêt « CoNISMa », la CJUE précise, s’agissant de l’expression « d’opérateur économique », que la directive 2004/18/CE dispose que ce terme « est utilisé uniquement dans un souci de simplification du texte » et qu’il signifie « toute personne physique ou morale ou entité publique ou groupement de ces personnes et/ou organismes qui offre […] des produits ou des services sur le marché ».
A la lumière de cet arrêt, il est possible de conclure qu’une entité à but lucratif ou non peut être opérateur économique. La question se pose alors de savoir dans quel cas l’activité d’une association peut être qualifiée d’économique.
La CJCE a considéré qu’une fondation agissant dans l’intérêt public et l’utilité sociale « est susceptible d’offrir des biens ou des services sur le marché en concurrence avec d’autres opérateurs, par exemple dans des domaines comme la recherche scientifique, l’éducation, l’art ou la santé ». Cette fondation « doit être considérée comme une entreprise, en tant qu’elle exerce une activité économique, nonobstant la circonstance que l’offre de biens ou de services est faite sans but lucratif, dès lors que cette offre se trouve en concurrence avec celle d’opérateurs poursuivant un tel but ».
Les fondations « ne constitueraient pas des entreprises […] à moins qu’elles n’aient offert directement des biens ou des services sur le marché dans le cadre des opérations nécessaires ou utiles pour atteindre leurs buts d’intérêt public et d’utilité sociale. […] La simple détention de participations, même de contrôle, ne suffit pas à caractériser une activité économique […], lorsqu’elle ne donne lieu qu’à l’exercice des droits attachés à la qualité d’actionnaire […].
Une entité qui, détenant des participations de contrôle dans une société, exerce effectivement ce contrôle en s’immisçant directement ou indirectement dans la gestion de celle-ci doit être […] qualifiée d’entreprise.
Par ailleurs, selon la jurisprudence de la CJUE, une activité est économique lorsqu’elle consiste à offrir des biens ou des services sur un marché donné. Peu importe que le prix pratiqué soit inférieur à celui du secteur lucratif ou que l’association agisse sans but lucratif.
En conséquence, les activités qui sont accomplies sans contrepartie économique par l’Etat dans le cadre de ses missions – notamment sociales – ne constituent pas une activité économique au sens des règles de l’Union européenne.
GUIDE RELATIF AUX SIEG ET SSIG :
Il convient également d’évoquer le guide relatif aux services d’intérêt économique général (SIEG) et aux services sociaux d’intérêt général (SSIG) qui apporte des informations intéressantes dans le cadre de la détermination de la nature économique de l’activité d’une association. Le fait que les services rendus présentent un caractère social ne suffit pas en soi à les considérer comme « non-économiques » dès lors qu’il existe un marché concurrentiel. Mais l’intérêt général des activités de SSIG autorise des dérogations quant à leur financement ou quant à leur mise en concurrence. Leur attribution peut faire l’objet de procédures dérogatoires aux règles de la mise en concurrence ou de procédure allégées.
La Commission européenne exerce un contrôle étroit sur ces dérogations.
CODE DE COMMERCE :
Le code de commerce ne donne pas de définition légale de la notion d’activité économique. Toutefois, il est possible de souligner que cette notion est d’interprétation plus large que la notion d’activité lucrative ou commerciale.
AUTRES SOURCES :
Plusieurs définitions de l’activité économique ont été proposées :
Débats parlementaires :
Une activité économique désigne « toute l’activité de production, de transformation ou de distribution de biens meubles ou immeubles et toutes prestations de services en matière industrielle, commerciale, artisanale ou agricole ».
Réponses ministérielles :
Sont « économiques toutes les activités de production, transformation, distribution de biens meubles ou immeubles et toutes les prestations de services en matière industrielle, commerciale, artisanale ou agricole », ainsi que « la gestion des établissements qui agissent dans les domaines de la santé, la protection sociale, les loisirs et le tourisme ».
Dans la réponse, sont également citées les associations gestionnaires agissant dans le domaine de la santé et de la protection sociale (clinique, centres de soins, maison de retraite, associations pour personnes handicapées, centres d’aides ménagères), des loisirs, du tourisme, de la formation et de l’éducation.
En revanche, ne seraient pas considérés comme ayant une activité économique les organisations strictement professionnelles, les syndicats, les congrégations ou encore les comités d’entreprise.
Jurisprudence :
Sont toutefois exclues les activités exclusivement sociales répondant à des exigences de solidarité nationale et dépourvues de tout but lucratif ainsi que celles correspondant à l’exercice de l’autorité publique.
Doctrine :
« Tout ce qui tend à la création ou à la distribution des richesses relève de l’activité économique ». L’activité économique est une notion plus large que l’activité commerciale ; si toute activité commerciale qui se traduit par la recherche de profit est économique, l’inverse n’est pas vrai. L’activité économique peut s’entendre de lanière plus large :
- Que l’activité commerciale : les activité immobilières, libérales, agricoles et artisanales qui ne sont pas commerciales sont néanmoins des activités économiques ;
- Que l’activité lucrative : toute personne morale à but lucratif a nécessairement un caractère économique.
Plus embarrassant est le cas des associations dont l’activité, sans être à proprement parler lucrative, n’est pas non plus désintéressée. Tel est le cas, par exemple, des associations qui prennent en charge la défense des intérêts professionnels de leurs adhérents.
Commission nationales des commissaires aux comptes (CNCC) :
La commission des études juridiques de la CNCC estime que les associations dites culturelles n’exercent pas une activité économique car toute activité économique leur est interdite par la loi de 1905.
Loi relative à l’économie sociale et solidaire (ESS) :
Selon cette loi, a la qualité d’entreprise de l’ESS une association qui tout à la fois :
- Met en œuvre des activités de production, de transformation, des distribution, d’échange et de consommation de biens ou de services ;
- A une gouvernance démocratique définie et organisée par les statuts, prévoyant l’information et la participation de ses membres, de ses salariés et des parties prenantes à ses réalisations.
CONCLUSION :
Les textes qui entourent les associations relevant de la loi 1901 ainsi que leurs activités sont de plus en plus nombreux et complexes. Mais cette situation ne décourage pas les entrepreneurs, qui choisissent très souvent cette forme juridique comme véhicule de leur activité, même dans les cas où cette dernière est, dès le départ, qualifiée de lucrative.
Vraisemblablement, le principe de liberté, qui est à la base du fonctionnement des associations, exerce un attrait non négligeable.
Il est regrettable cependant que les autres formes juridiques prévues notamment par la loi ESS ne soient pas plus fréquemment retenues, ne serait-ce que comme des filiales d’une association pour certaines de leurs activités. Il n’est pas prouvé que le coût fiscal serait supérieur et, surtout, il y aurait une plus grande simplicité dans la mise en œuvre des différents textes légaux.
Notre expert
Marc TENNERONI
Expert-Comptable
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